L’Aide Médical d’Etat (AME) – Les enjeux éthiques
« La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soit sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale* »
En vigueur depuis vingt ans et régulièrement mise à mal, l’Aide Médicale d’Etat assure une couverture intégrale des frais médicaux et hospitaliers aux étrangers en situation irrégulière résidant en France depuis au moins trois mois. Le mardi 7 novembre 2023 dans le cadre du projet de loi immigration, le Sénat adopte la suppression de l’AME au profit de l’AMU – Aide Médicale d’Urgence. Si la question de l’immigration est un sujet sensible et éminemment politique, il est important et intéressant d’interroger les enjeux éthiques que soulève cette suppression.
L’AME est le reflet de deux grands principes étroitement liés ; d’abord la solidarité, ou fraternité, comme fondement premier de notre République et de notre système de soins puis la dignité comme respect et considération de l’autre dans son humanité. La France est un pays sujet aux flux migratoires dont chacun sait, au regard de récents événements de guerres et des enjeux climatiques, qu’ils ne sauraient être amoindris. Elle porte donc la responsabilité de garantir l’accès aux soins, au nom du droit fondamental souligné par l’OMS, et du principe d’équité comme enjeux de santé publique.
« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité1 »
Une prise en charge affaiblit pour des personnes sujettes à de nombreux facteurs de vulnérabilité constitue un enjeu de société à court et long terme. En effet, l’Aide Médicale d’Urgence actuellement pensée interviendrait dans le cas d’une prise en charge « des maladies graves et des douleurs aiguës » intégrant toutefois les soins liés à la grossesse, les vaccinations ainsi que les examens de médecine préventive. Cette prise en charge tardive peut questionner l’apparition de coûts supplémentaires que cela pourrait générer et interroge ce que le Sénat entend par « maladies graves » et « douleurs aiguës ». Quelle marge d’interprétation pour les soignants ? S’agit-il de douleurs et de maladies physiques ? Mentales ? D’autant que nous avons conscience des traumatismes pouvant être subis au cours de la migration. À partir de quel seuil parlerons-nous de gravité ? En somme, quel serait le cadre de cette prise en charge ? De plus, au lendemain de la crise sanitaire COVID-19, ne serait-ce pas une perte en matière de prévention ?
Comme le souligne le CCNE dans son avis 127 sur la santé des migrants : « la santé, au sens de la définition que donne l’OMS, ne doit en aucun cas pouvoir être instrumentalisée, notamment en maintenant de mauvaises conditions sanitaires comme outil de refoulement »
Cette mesure devra à présent être discutée par l’Assemblée nationale à partir du 11 décembre prochain.
Candice BREHMER, chargée de mission
Sources
- Communiqué de presse CCNE 12 octobre 2023
- Avis 127 : Santé des migrants et exigence éthique
- Qu’est-ce que l’aide médicale d’Etat ? (AME)