Le don représente l’idéal de la relation humaine : la capacité à se détourner de soi pour se consacrer à l’autre. En France, le don repose sur deux principes fondamentaux, issus des lois de bioéthique : l’anonymat et la gratuité. L’anonymat protège l’identité du donneur et du receveur afin de préserver chacune des parties de toute pression éventuelle après le don. La gratuité, quant à elle, prévient les abus et favorise un acte par essence solidaire et altruiste, en assurant que le don soit non rémunéré.
En France, le don d’organe suit le cadre du consentement présumé. En ce sens, chaque individu est considéré comme donneur potentiel, sauf expression de son opposition, notamment par l’inscription sur le registre national des refus. Ce modèle illustre une valeur absolue de notre système de soins : la solidarité. Cependant, cette vision rencontre aujourd’hui une réalité complexe. En 2024, 36,4 % des familles ont refusé un prélèvement, un taux qui atteint 53,5 % en Île-de-France (1). Ces refus peuvent témoigner de plusieurs difficultés : d’abord, d’une décision émotionnellement lourde dans un contexte souvent brutal, mais aussi une incertitude sur les volontés réelles du défunt.
Il est alors essentiel de mettre en lumière une autre forme de don, peu connue mais porteuse d’espoir : le don d’organes du vivant. En 2024, 614 greffes ont été réalisées grâce à des donneurs vivants, dont 598 greffes rénales (1). Ces dons, strictement encadrés, s’effectuent principalement entre proches : parents, enfants majeurs, conjoints, amis intimes. Ici, l’impératif médical prend le pas sur le principe d’anonymat, soulevant de nombreuses questions : dans quelle mesure un consentement peut véritablement être libre lorsqu'il s'agit d’un membre de sa famille ? Dans ce type de situation, le don peut être ressenti comme une obligation morale, où la pression émotionnelle et familiale joue un rôle décisif. Le lien affectif entre le donneur et le receveur peut-il réellement garantir que la décision est prise sans aucune forme de pression, même indirecte ? Par ailleurs, dans quelle mesure le receveur peut-il ne pas ressentir une forme de redevabilité envers la personne qui lui a donné un organe ? Un sentiment de gratitude profond peut s’installer ; cette dette émotionnelle pourrait peser sur la relation, compliquant les interactions futures.
Il existe également une autre forme de don : le don croisé d’organes. Chaque donneur des deux paires accepte de donner à un receveur anonyme pour permettre à son proche d'accéder à une greffe. Ce système repose sur une chaîne de solidarité complexe, couverte d’anonymat, dans laquelle le don prend une dimension collective et altruiste, bien qu’indirecte. Le don croisé recouvre ainsi une forme particulière de solidarité du don, où l’engagement envers un inconnu permet de sauver son propre proche.
Les interrogations soulevées, bien qu'elles soulignent la complexité liée à l'acte de donner, ne diminuent en rien la légitimité ni la portée symbolique de cet acte. Le don demeure un geste fondamentalement humain, qui transcende toute considération d'intérêt personnel ou de réciprocité. Le don d’organes incarne un espoir de vie auquel chaque citoyen peut contribuer.
Candice Brehmer, chargée de Mission ERENA Site Limousin
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